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La mutualisation du stationnement : innover pour optimiser l’usage de l’espace urbain - Panel d'experts

La bordure de rue est un espace public généralement sursollicité. Avec la multiplication de son usage, il est devenu nécessaire de réfléchir à une optimisation de son utilisation, de son partage, et d’une gestion intégrée avec le stationnement hors rue.

C’est dans cette logique que s’inscrit la mutualisation, une solution à haut potentiel qui maximise l’usage des espaces hors rue. Il s’agit de mettre à disposition de différents groupes d’usager-ère-s, et à différents moments de la journée, les stationnements hors rue. Cette pratique permet de réduire les périodes où les espaces de stationnement sont inutilisés.

En lien avec cette thématique, l’Agence a réuni un panel composé de cinq experts nationaux et internationaux. Animé par le chroniqueur Marc-André Carignan, l’événement rassemblait :

  • Gautier Caland, directeur principal, Innovation & Marketing, Indigo Group ;
  • Eric Diserbeau, directeur Mobilité Transport, Rennes Métropole ;
  • Eric Dubois, directeur général, Parking Bruxelles ;
  • Mathieu Nicaise, ingénieur spécialisé en transport, STIB Bruxelles ;
  • Antoine Sambin, chef de service, Stratégies de mobilité, Agence de mobilité durable.

Le rôle du stationnement hors rue

Nos cinq experts s’entendent pour dire que la mutualisation est une façon de repenser les stationnements afin d’optimiser l’usage des espaces publics et d’orchestrer leur partage. « La mutualisation, explique Eric Diserbeau, permet de répondre aux besoins en stationnements tout en les réduisant au strict minimum dans le but de permettre d’autres utilisations. »

Antoine Sambin illustre cette stratégie permettant une variété d’usages à l’aide d’un projet de l’Agence de mobilité durable. Dans le quartier de Griffintown, la rareté des places de stationnement sur rue est compensée hors rue, notamment grâce à un partenariat avec l’ÉTS (École de technologie supérieure). Cette dernière met à disposition des résident-e-s ses stationnements en soirée et la fin de semaine, périodes où l’école est désertée de son corps étudiant et enseignant. « Le point essentiel est de trouver cette complémentarité des usages afin de mieux remplir les stationnements déjà disponibles », précise-t-il. 

Ainsi, le déplacement vers l’offre de stationnement hors rue est la pierre angulaire de cette stratégie de mobilité. Dans la région bruxelloise où, dans le cadre du plan de mobilité Good Move, plusieurs places de stationnement en voirie seront supprimées, « la mutualisation est à la fois une opportunité et une nécessité », soutient Eric Dubois.

Cela étant dit, les experts soulignent que les places de stationnement hors rues sont souvent peu connues du public qui a l’impression qu’il n’existe que peu d’alternatives. Selon eux, il est donc non seulement crucial de créer des partenariats avec des entreprises ainsi que des sociétés publiques qui possèdent des places peu utilisées, mais aussi de faire connaître des automobilistes ces emplacements disponibles.

D’ailleurs, Gautier Caland souligne que l’incertitude par rapport au fonctionnement des stationnements hors rue est parfois un frein pour les usager-ère-s. Instaurer des normes de qualité en ce qui concerne l’aménagement et la sécurité pourrait, de ce fait, contribuer favorablement à leur expérience : « Une expérience client de qualité est un levier important pour réussir la mutualisation », poursuit Antoine Sambin. Il précise que le fait que la clientèle puisse savoir quand, où et à quel prix elle peut se stationner, combien de places sont disponibles en temps réel et même la possibilité d’avoir des places réservées pourrait l’inciter à quitter le stationnement sur rue.

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Les bénéfices d’une mutualisation du stationnement

 « La mutualisation dynamise. C’est une manière de répondre aux besoins de chacun et d’avoir une ville beaucoup plus inclusive », soutient Gautier Caland. 

« Un des grands objectifs et bénéfices de la mutualisation est de rationaliser les usages. Ceux qui sont alternatifs sont très intéressants », ajoute Antoine Sambin. Grâce à la mutualisation, il est possible de multiplier les fonctions des espaces hors rue, et même des bordures, qui dépassent le stationnement individuel : autopartage, pistes cyclables, « placottoirs », terrasses, verdissement, entreposage, etc. Si le stationnement a été pensé pour la voiture, rien n' empêche de le concevoir autrement.

Même si les débats entourant le stationnement sont souvent cahoteux, voire viscéraux, la mutualisation a des retombées positives sur la mobilité urbaine, comme l’explique Mathieu Nicaise. Concrètement, seulement un an après l’initiative du plan Good Move, à Bruxelles, il y a eu une réduction de 20 % du trafic automobile et l’augmentation de 20 % du transport à vélo. « On a créé une nouvelle normalité. La situation actuelle apparaît normale et celle du passé comme complètement absurde, anachronique », observe-t-il.

De défis à solutions

Les règlements municipaux, les tarifs concurrentiels de la bordure de rue et le fait que les résident-e-s tiennent pour acquis que cette dernière leur appartient sont des bloquants significatifs lorsqu’il est question de mutualisation, constatent les panélistes. Ces derniers soulèvent des défis auxquels font face les initiatives de mutualisation, soit les données de mobilité et le partenariat public-privé. Néanmoins, ces défis marquent également des pistes de solution selon les experts.

« Nous sommes assez pauvres en données de mobilité lorsqu’il s’agit de qualifier l’usage, alors que c’est justement là que l’on peut trouver des gisements d’efficacité pour de la mutualisation, une diversification des usages des espaces publics », remarque Mathieu Nicaise, d’une part.

Même à Rennes qui possède son observatoire du stationnement, ces informations se font rares, selon Eric Diserbeau.

Pourtant, être en mesure de récolter et de communiquer efficacement les données de mobilité est un enjeu important. Pour les expert-e-s en mobilité, être mieux outillé pour comprendre les besoins des citoyen-ne-s est essentiel dans la planification du partage des stationnements.

D’autre part, Gautier Caland explique : « Le stationnement est ancré dans notre culture de mobilité en Amérique du Nord et est devenu une source de revenus importante pour les édifices avoisinants. » Ainsi, il estime que ce n’est pas un manque de volonté de la part du privé, mais la peur d’une perte de revenus sur leurs actifs immobiliers qui peut être problématique pour les propriétaires. Actifs immobiliers qui sont, d’ailleurs, des espaces sous-utilisés et sous valorisés selon les expert-e-s. Il faut donc penser le stationnement autrement.

Le panéliste ajoute que s’adapter en assouplissant les réglementations permettrait de maximiser leur usage. Par le biais d’utilisations moins traditionnelles comme la location pour des événements, l’agriculture biologique, de centres de logistique ou de données par exemple, il est possible de le mutualiser et de répondre aux besoins de plusieurs groupes citoyens de manière optimale.

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Un phénomène dynamique  

Rendre le stationnement hors rue plus simple et accessible. Certain-e-s pourraient y voir une contradiction : ne serait-ce pas une manière d’encourager l’usage de la voiture ?

Il n’y a bien sûr pas de mesures parfaites pour Gautier Caland, pour qui l’important est d’accompagner la population dans le changement de ses comportements. L’inciter à abandonner sa voiture tout en lui offrant des solutions alternatives. Selon lui, il faut encourager cette transition avec des actions positives : « Les programmes ne doivent pas culpabiliser les gens qui gardent l’automobile, un choix qui est parfois contraint », indique-t-il.

Changer les comportements citoyens peut prendre plusieurs années. Mathieu Nicaise explique : « C’est un grand phénomène dynamique sur lequel personne n’a de maîtrise totale. L’écosystème urbain est plein de nuances et de paradoxes. Il faut être humblement conscient de ces variables pour lesquelles personne n’a de formule miracle. »

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