L’électrification de flotte : panel d’experts

Le Québec doit réduire ses émissions de gaz à effet de serre. L’électrification du transport constitue un passage obligé pour y parvenir, mais la transition entre les carburants traditionnels et l’énergie propre entraîne des défis pour les organisations.

Afin de démystifier ces enjeux et leurs solutions, l’Agence de mobilité durable accueillait le 29 septembre un panel sur le thème L’électrification de flotte, de la théorie à la pratique. Compte rendu.

Animé par le chroniqueur Marc-André Carignan, l’événement regroupait quatre professionnel·le·s aux expertises complémentaires :

Alexandre Bonaldi, directeur conseil Énergie et environnement chez Sia Partners, qui accompagne les organisations dans l’électrification de leurs flottes;
Sarah Houde, présidente-directrice générale de Propulsion Québec, la grappe industrielle des transports électriques et intelligents;
Frédérick Prigge, ancien directeur recherche, développement et déploiement à l’Institut du véhicule innovant;
Jordan Charbonneau, directeur de l’exploitation chez InnovHQ, une filiale d’Hydro-Québec qui fournit des solutions de recharge.

Dans un mot de bienvenue, le directeur général de l'Agence de mobilité, Laurent Chevrot a d’abord expliqué comment l’Agence a commencé à électrifier sa propre flotte de véhicules de surveillance, en testant des voitures, des véhicules à basse vitesse, des vélos et des trottinettes électriques. Puis, les autres membres du panel ont discuté des principales questions auxquelles les organisations qui envisagent la transition doivent répondre.

L’importance de connaître ses besoins

La première étape consiste à définir les besoins réels de l’organisation en matière d’autonomie et de recharge. L’observation d’échantillons de véhicules d’une flotte sur le terrain et l’étude de données télémétriques permettent de prévoir la dépense énergétique réelle et sa répartition au cours de la journée. Une analyse qui révèle parfois des surprises : par exemple, les membres d’une coopérative de taxi croyaient dépasser les 250 km par jour, mais ils et elles ont appris qu’il s’agissait plutôt en moyenne de 160 km.

Étudiez le cycle d’usage, les distances parcourues, les dénivelés et les temps morts », recommande Jordan Charbonneau, afin de déterminer le type de borne de recharge approprié. Une borne de niveau 2, peu coûteuse, suffit lorsque l’on peut brancher le véhicule toute la nuit ou que les tâches du lendemain ne requièrent qu’une charge partielle. Une borne rapide de niveau 3, en revanche, est plus coûteuse et plus fragile. « Prévoyez un budget d’entretien », ajoute Frédérick Prigge, qui suggère de planifier un remplacement annuel des câbles et, pour les bornes de niveau 3, du module de puissance.

Quant aux problèmes d’interopérabilité entre les différents modèles de bornes et de véhicules, ils ont été exagérés selon Frédérick Prigge. « Pour les autos, la standardisation est presque complète », estime-t-il, spécifiant que les véhicules lourds auraient intérêt à éviter les bornes publiques et à se fier à l’infrastructure de recharge de leurs organisations.

Adapter une flotte électrique au climat québécois

Et l’hiver? Un autre problème surestimé pour Alexandre Bonaldi qui note que les véhicules de flottes roulent rarement plus de 50 à 100 km par jour. L’autonomie d’un véhicule électrique aux déplacements aussi limités ne pose aucun problème.

D’autant plus que, si les batteries se rechargent plus lentement, leur baisse d’efficacité en hiver est un mythe. « C’est le véhicule qui consomme plus », par exemple pour chauffer l’habitacle, explique Frédérick Prigge. Une constatation qui vaut également pour les véhicules à essence.

Comment rentabiliser la transition énergétique

L’électrification requiert un investissement en capital considérable. Sarah Houde souligne cependant que les programmes gouvernementaux s’appliquent dorénavant à de nouvelles catégories de véhicules, plus lourds. Il existe aussi des solutions de rechange, conçues pour apaiser les craintes. « Des firmes d’investissement achètent des flottes de véhicules et des bornes de recharge, puis les louent », dit-elle.

Procéder par étapes peut aider à amortir les coûts. L’acquisition d’un ou deux véhicules électriques, afin d’habituer le personnel à leur fonctionnement avant d’entreprendre une transition complète, est une stratégie gagnante. Par la suite, l’organisation pourra établir un calendrier de remplacement, en fonction de l’âge de sa flotte actuelle.

Enfin, exploiter une flotte électrique coûte moins cher à long terme. Jordan Charbonneau souligne que le prix de l’énergie est bas au Québec, puisque la ressource et le réseau de distribution appartiennent à la collectivité. Les véhicules électriques contiennent aussi moins de pièces mobiles et requièrent moins d’entretien. Quant à la clientèle d’InnovHQ, elle profite d’un stock de pièces de rechange partagé, qui minimise à la fois les dépenses de chaque entreprise et les interruptions de service.

Sécuriser l’approvisionnement et les compétences

La disponibilité des véhicules constitue peut-être l’enjeu principal à court terme. L’industrie peine à satisfaire la demande de voitures électriques. En matière de véhicules moyens et lourds, les choix de modèles sont peu nombreux, mais de nouveaux manufacturiers intègrent rapidement le marché.

Il faudra aussi du personnel qualifié pour gérer et entretenir les futures flottes électrifiées. Heureusement, les ressources se développent. Les municipalités s’échangent l’expertise qu’elles acquièrent en opérant leurs propres flottes. Le Cégep de Saint-Jérôme offre un programme en technologie des véhicules électriques. Hydro-Québec a produit toute une série de guides pratiques. Propulsion Québec a fait de même pour le cas précis des flottes d’autobus scolaires. Sarah Houde estime qu’il faudra cependant multiplier les démarches dans les institutions postsecondaires. « Des milliers d’emplois s’en viennent d’ici 2035. »