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Une ville accessible en 2030: quelles actions mettre en œuvre ? – Panel d’expert-e-s

La vision qu’a l’Agence pour le futur de Montréal est celle d’une ville accessible pour toutes et tous. Pour faire passer concrètement cette vision à la réalité d’ici 2030, quels sont les leviers et les freins de cette transition ?

Afin d’établir les actions à mettre en œuvre pour y arriver, l’Agence a réuni un panel d’expert-e-s provenant de différents domaines d’expertise. Animé par Gabrielle Lamontagne-Hallé, il est composé de :

  • Sandrine Cabana-Degani – Directrice générale, Piétons Québec ; 
  • Pierre-Étienne Gendron-Landry – Directeur général, Société Logique ; 
  • Amélie-Myriam Plante - Professionnelle de l’aménagement du territoire, Anthropole ; 
  • Juan Torres, Ph. D. – Professeur titulaire à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage, Université de Montréal. 

Une ville accessible ?

Tout le monde n’a pas la même expérience de la ville. De multiples enjeux sont donc à considérer lorsque l’on vise à la rendre plus accessible.

Pour Pierre-Étienne Gendron-Landry, une ville universellement accessible permet à tout le monde, peu importe ses capacités physiques, cognitives et perceptuelles, de naviguer dans l’espace public de façon autonome. Les éléments qui peuvent influencer l’accessibilité des parcours des citoyen-ne-s sont nombreux. Nommons leur âge, leurs revenus ou encore leur genre.

Ainsi, dans une ville accessible, toutes et tous peuvent bénéficier des ressources qu’elle a à offrir. Sur ce, Juan Torres souligne un défi supplémentaire ; définir qui sont « toutes et tous ». Selon l’urbaniste, il s’agit d’un élément difficile à saisir puisque nos besoins, nos intérêts et nos capacités sont en constante évolution : « On se fait une idée aujourd’hui en 2023, mais elle sera différente en 2030. » Il complète : « Une ville accessible à tous est une ville sensible à toutes ces différences qui se manifestent et est capable de les compenser le plus rapidement possible. »

Amélie-Myriam Plante explique : « Je le vois aussi comme un continuum, une chaîne de déplacements où à chaque maillon, il pourrait y avoir des ruptures. » Le fait qu’un lieu ne permet pas au citoyen-ne de participer socialement, de manière autonome, accompagné-e ou aidé-e par une autre personne, ou encore le fait d’ignorer les mesures d’accessibilité qui y sont offertes, brisent cette chaîne.

Enfin, les aspects du confort et de la sécurité sont tout aussi importants à prendre en compte pour Sandrine Cabana-Degani. Selon elle, il faut non seulement que la population puisse se déplacer via plusieurs modes de transport (à vélo, à pied, en transport en commun, etc.), mais également que ces déplacements puissent être faits en toute sécurité.

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L’évolution de la conception de l’accessibilité

Pour Pierre-Étienne Gendron-Landry, les mentalités évoluent rapidement quant à nos attentes en termes de mobilité : « Je caricature un peu en disant qu’à une certaine époque on se demandait comment se déplacer le plus vite possible sur la plus grande distance possible. Tandis que maintenant, on se pose plus de questions sur les différentes options de mobilité, comment tout le monde peut avoir accès à différents espaces sur un territoire. Peut-être de façon moins rapide, mais certainement de façon plus fiable. » Autrement dit, dans l’éventualité où un mode de transport n’est pas disponible, il est important d’avoir l’option de se tourner vers un autre, d’avoir une variété de choix. D’ailleurs, il rapporte que la tendance est aujourd’hui d’essayer de mettre le plus possible les préoccupations des usager-ère-s au cœur de la réflexion sur l’aménagement des espaces.

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Qu’est-ce qui peut freiner la transition vers une ville accessible ?

Le travail en silo, non transversal, est un des freins principaux aux efforts en matière d’accessibilité pour Amélie-Myriam Plante. Selon elle, la communication entre les différentes équipes d’une ville qui mettent sur pied une politique d’accessibilité universelle, un plan d’urbanisme ou une politique MADA (Municipalité amie des aînés), par exemple, est importante afin d’éviter « que l’on échappe certaines choses. »

La culture automobile est un autre frein à cette transition, particulièrement pour les piétons selon Sandrine Cabana-Degani : « Cette culture automobile se reflète sur les cadres réglementaires, normatifs, qui vont ensuite avoir un impact sur comment nos milieux de vie sont construits. » Elle nomme par exemple l’absence de trottoirs à certains endroits, la vitesse de circulation élevée ou encore l’éloignement des services.

Quant à Pierre-Étienne Gendron-Landry, la division des usager-ère-s en catégories dont les besoins sont mis en opposition est une tendance contre-productive. Leurs besoins ne sont pas nécessairement aux antipodes et peuvent même être complémentaires, voire similaires. Il prend en exemple les piéton-ne-s et les cyclistes : les cyclistes peuvent devenir piétons et vice-versa

Dans le même ordre d’idées, Amélie-Myriam Plante affirme que les besoins de la population doivent être pris en compte « de la poussette à la marchette ». Les capacités physiques et les besoins de la population ne restent pas les mêmes tout au long de sa vie : « Les besoins qu’ont les parents touchent souvent ceux qu’ont les personnes âgées, notamment les lieux de repos, mais aussi l’accès aux toilettes publiques pour des arrêts plus fréquents, par exemple », signale-t-elle. Les solutions d’aménagement doivent donc être réfléchies conjointement, en mettant l’accent sur des zones communes plutôt qu’opposées selon les panélistes.

Le rôle de la bordure de rue et du stationnement

Pour Sandrine Cabana-Degani, les bordures de rue offrent de nombreuses possibilités d’aménagement urbain intéressantes qui soutiennent l’accessibilité. Elle souligne le dégagement de 5 mètres des intersections, mais aussi les projets de placottoirs : « L’animation de l’espace urbain est une façon de créer un sentiment de sécurité. Si ces espaces sont bien conçus, ils peuvent bonifier la mobilité des gens dans la ville. »

Au sujet des placottoirs, Juan Torres ajoute qu’ils sont de bons exemples d’urbanisme tactique qui donne à la population les outils pour façonner la ville selon ses besoins, de se l’approprier. Les rues étant des espaces publics, des ressources collectives très polyvalentes, il explique qu’il ne faut pas uniquement penser les rues en termes d’usages, mais aussi d’usager-ère-s. De plus, il ne faut pas les limiter au déplacement, mais de penser aussi aux activités qu’elles permettent.

« Revoir la bordure, c’est une façon de se donner plus de marge de manœuvre pour faire une rue qui permet d’accommoder beaucoup plus de modes de transport différents », indique d’ailleurs Pierre-Étienne Gendron-Landry. Pour le directeur général de Société Logique, prioriser la diversité des modes de transport et diversifier les usages de la rue, permet aux villes d’obtenir un système routier non seulement plus polyvalent, mais aussi plus résilient.

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Aménager pour toutes et tous

Pour qu’une ville soit accessible, Juan Torres insiste que de nombreux enjeux sont à prendre en considération, comme le vieillissement de la population, la rediversification des écosystèmes ou encore la présence grandissante des réseaux sociaux ainsi que de l’intelligence artificielle dans notre quotidien: « C’est une nécessité de se poser ces questions pour être conscients de nos angles morts et d’accepter qu’il y en aura toujours lorsque l’on parle d’accessibilité. »

À ce sujet, la consultation publique est un outil qui permet de s’assurer de bâtir des villes qui soient plus inclusives d’après Amélie-Myriam Plante : « Les citoyens sont de plus en plus consultés et je pense que c’est une des meilleures manières de voir les angles morts. » Les citoyen-ne-s ont un savoir expérientiel des lieux.

Selon monsieur Gendron-Landry, il ne faut pas réduire les personnes à leurs capacités fonctionnelles, et donc se défaire de la conception binaire « personne handicapée versus personne non handicapée ». Puisque les besoins des personnes en situation de handicap peuvent être révélateurs des besoins de l’ensemble de la population, il ajoute : « Lorsque l’on fait des aménagements accessibles, ce n’est pas pour une infime minorité de la population, mais bien pour tout le monde. »

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